Page:Daudet - Jack, I.djvu/280

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gravement : « Allons, viens ici, grand-père, que je voie s’il ne te manque rien. »

La bonté de cet homme avait quelque chose de divin.

Elle se lisait dans son regard d’enfant, innocent et clair, mais sans la malice toujours éveillée de l’enfant. Quoi qu’il eût beaucoup couru le monde, connu force gens et force pays, la science l’avait gardé naïf. Il ne croyait pas au mal et appliquait la même illusion indulgente à tout ce qui vivait, aux bêtes comme aux personnes. C’est ainsi que, pour ne pas fatiguer son cheval, un vieux compagnon qui le servait depuis vingt ans, dès qu’il rencontrait une côte à monter, un chemin un peu raide, ou seulement que l’animal traînait la patte, il descendait du cabriolet et s’en allait tête nue, au soleil, au vent, à la pluie, tenant la bride de la bête, qui le suivait paisiblement.

Le cheval était fait à son maître comme le maître au cheval ; il savait que le docteur s’attardait souvent dans ses visites, ne se décidait jamais à s’en aller, et il avait des façons à lui de secouer ses rênes à la porte des malades. D’autres fois, quand c’était l’heure de rentrer pour déjeuner ou pour dîner, il s’arrêtait au milieu de la route, se tournait obstinément du côté de la maison.

— Tiens ! c’est vrai, tu as raison, disait Rivals.

Alors ils revenaient bien vite ou se disputaient tous les deux.