Page:Daudet - Jack, I.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui ce tapage dans le vide, qu’il appelait « un milieu intellectuel, » d’Argenton avait ouvert sa maison toute grande aux Ratés. Le poëte n’aimait pourtant pas à jeter son bien par les fenêtres, il était visiblement avare et, chaque fois que Charlotte lui disait bien timidement : « Je n’ai plus d’argent, mon ami, » il répondait par un « déjà ! » très accentué et une moue peu encourageante. Mais chez lui la vanité l’emportait sur tout le reste ; et le plaisir de montrer son bonheur, de faire le maître de maison, d’exciter l’envie de tous ces pauvres diables, triomphait de ses calculs les mieux équilibrés.

On savait dans le monde des Ratés qu’il y avait là-bas au grand air, dans un endroit délicieux, bonne table et bon gîte au besoin si l’on manquait le train. Cela se criait d’un bout à l’autre des brasseries :

— Qui est-ce qui vient chez d’Argenton ?

Et l’argent du voyage péniblement réuni, on arrivait en bande, à l’improviste.

Charlotte était sur les dents :

— Vite ! madame Archambauld, voilà du monde, tordez le cou à un lapin, à deux lapins… Vite, une omelette, deux omelettes, trois omelettes.

— Heullà, bon Dieu, bonnes gens ! En v’là-t-il des figures, disait la femme du garde effarée ; car c’était sans cesse de nouveaux visages, et des cheveux, et des barbes, et des tenues !

D’Argenton ressentait toujours le même contente-