Page:Daudet - Jack, I.djvu/30

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et la serra contre ses lèvres avec ferveur, comme un véritable amoureux.

Elle tressaillit, le regarda d’un air égaré :

— Ah ! cruel, cruel enfant, que de mal tu m’as fait depuis que tu es au monde !

Jack pâlit :

— Moi ?… Je t’ai fait du mal ?

Il ne connaissait, n’aimait qu’un seul être sur la terre, sa mère. Il la trouvait belle, bonne, incomparable. Et sans le vouloir, sans le savoir, il lui avait fait du mal.

Le pauvre petit à cette idée eut une crise de désespoir, lui aussi, mais, d’un désespoir muet, comme si après la douleur bruyante dont il venait d’être témoin il eût ressenti une pudeur à manifester son chagrin. C’étaient des tremblements, des sanglots étouffés, un spasme nerveux.

La mère eut peur, le prit dans ses bras :

— Mais non, mais non, c’est pour rire… Oh ! le grand bébé… Est-ce que l’on est sensible comme cela ?… Voyez-vous ce câlin avec ses longues jambes, qui se fait bercer comme un poupon… Non, mon petit Jack, tu ne m’as jamais fait de mal… C’est moi qui suis folle de te mêler à des histoires pareilles… voyons, ne pleure plus… Est-ce que je pleure, moi ?

Et l’étrange créature, oublieuse de sa douleur passée, riait franchement pour faire rire son Jack. C’était un des priviléges de cette nature mobile, tout en sur-