Page:Daudet - Jack, I.djvu/300

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voyant souffrir, me débattre au premier rang dans la mêlée littéraire, sans jamais ménager ni mon temps ni mes forces, parfois lassé, jamais vaincu, et m’obstinant, malgré la destinée, à combattre le bon combat. Maintenant, c’est à ton tour de descendre dans la lice. Te voilà devenu un homme…

Il n’avait guère plus de douze ans, le pauvre petit.

— Te voilà devenu un homme. Il s’agit de nous prouver que tu n’en as pas seulement l’âge et la taille, mais qu’il t’en vient aussi le cœur. Je t’ai laissé pendant plus d’un an te développer dans la libre nature, donner tout le jeu nécessaire à tes muscles et à ton esprit. D’aucuns m’ont accusé de ne pas m’occuper de toi. Ah ! routine… Je te surveillais, au contraire, je t’étudiais, je ne te perdais pas de l’œil une minute. Grâce à ce long et minutieux travail, grâce surtout à cette infaillible méthode d’observation que je me flatte de posséder, je suis arrivé à te connaître. J’ai vu quels étaient tes instincts, tes aptitudes, ton tempérament. J’ai compris dans quel sens il fallait agir pour le mieux de ton intérêt, et après avoir soumis mes observations à ta mère, j’ai agi.

À cet endroit de son sermon, d’Argenton s’arrêta pour recevoir les félicitations de Labassindre et du docteur Hirsch, pendant que le neveu de Berzélius et les autres, absorbés silencieusement dans leurs longues pipes, remuaient la tête de haut en bas comme des ma-