Page:Daudet - Jack, I.djvu/313

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vous montrent la destinée jusqu’au fond et toute la déconvenue de votre propre existence ? Ou bien avait-elle parlé, emportée dans le tourbillon de ses phrases par l’élan de sa sentimentalité ?

En tout cas, elle ne pouvait rien trouver de mieux pour vaincre cette petite âme généreuse. L’effet fut instantané. Cette idée que sa mère pouvait avoir besoin de lui, qu’il lui viendrait en aide avec son travail, le décida subitement.

Il la regarda droit dans les yeux :

— Jure-moi que tu m’aimeras toujours, que tu n’auras pas honte de moi quand j’aurai les mains noires.

— Si je t’aimerai, mon Jack !

Pour toute réponse, elle le couvrait de caresses, cachant sous des baisers passionnés son trouble et son remords, car, depuis cette minute-là, la malheureuse femme eut du remords, elle en eut pour toute sa vie et ne pensa plus jamais à son enfant sans un coup de glaive dans le cœur.

Mais lui, comme s’il comprenait tout ce que ces embrassements couvraient de honte, d’incertitude, de terreur, il s’y déroba en s’élançant vers l’escalier.

— Viens, maman, descendons. Je veux aller lui dire que j’accepte.

En bas, les Ratés étaient encore à table. Tous furent frappés de l’air grave et résolu qu’avait Jack en entrant.

— Je vous demande pardon, dit-il à d’Argenton. J’ai