Page:Daudet - Jack, I.djvu/330

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sent. D’ailleurs, c’est elle qui n’en a pas voulu, malgré qu’il soit très beau garçon et enjôleur comme il n’est pas possible. Ah ! les femmes ont plus de bon sens que nous… Enfin, voilà. En ce moment, nous essayons de le faire partir pour l’arracher à ses mauvaises connaissances. Le directeur me disait justement qu’il venait de lui trouver une place à Guérigny, dans la Nièvre. Mais je ne sais pas si le gaillard voudra y aller. Il doit avoir quelque relation par ici, et c’est ça qui le tient. Tu ne sais pas, cadet ? Tu devrais lui en parler, toi, ce soir. Il t’écouterait peut-être.

— Je m’en charge ; n’aie pas peur, dit Labassindre d’un air important.

Tout en causant, ils descendaient les rues ferrées de l’usine, encombrées à cette heure, la journée venant de finir, d’une foule de gens de toutes tailles, de tous métiers, bariolée de blouses, de vareuses, mêlant les redingotes des dessinateurs aux tuniques des surveillants.

Jack était frappé de la gravité avec laquelle s’opérait cette délivrance du travail. Il comparait ce tableau aux cris, aux bousculades sur les trottoirs, qui animent à Paris les sorties d’ateliers aussi bruyantes que des sorties d’écoles. Ici on sentait la règle et la discipline, comme à bord d’un navire de l’État.

Une buée chaude flottait sur toute cette population, une buée que le vent de la mer n’avait pas encore dissipée et qui planait comme un nuage lourd dans