Page:Daudet - Jack, I.djvu/335

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soutenu en cela par le Nantais, qui avait ses raisons de lui en vouloir, lui aussi. L’oncle et le neveu étaient d’ailleurs bien faits pour s’entendre tous deux sur la limite qui sépare l’artisan de l’artiste ayant juste assez de talent pour s’isoler dans leur milieu, mais une éducation première, des habitudes, des penchants qui les empêchaient d’en sortir. Deux métis d’Europe, la race la plus dangereuse, la plus malheureuse de toutes, avec ses haines envieuses et ses ambitions impuissantes.

— Vous vous trompez. C’est au contraire un homme excellent, disait le père Roudic défendant son chef qu’il aimait… Un peu dur sur la discipline. Mais quand on commande à deux mille ouvriers, il le faut bien. Sans ça rien ne marcherait. N’est-ce pas, Clarisse ?

Il se tournait ainsi à tout propos vers sa femme, car il avait affaire à deux beaux parleurs et lui-même n’était pas très éloquent. Mais Clarisse s’occupait de son dîner, et l’on sentait en elle l’indolence d’une personne absorbée, dont les mains sont lentes, le regard errant, parce que la volonté absente est accaparée par quelque combat intérieur.

Heureusement que Roudic reçut du renfort et un renfort sérieux. Zénaïde venait d’entrer, une grosse petite boulotte, qui arriva, toute rouge, toute essoufflée, se jeter au plus fort de la mêlée. Celle-là n’était pas jolie. Lourde, courte, la taille mal équarrie, elle