Page:Daudet - Jack, I.djvu/348

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— Hé, l’Aztec, chaud-là, mon garçon ! Serre la vis. En vigueur. Hardi donc, N… d… D…

C’est la voix de Lebescam, le contre-coup, qui parle au milieu de la tempête de tous ces bruits déchaînés. Ce géant noir à qui Roudic a confié l’éducation première de l’apprenti s’interrompt quelquefois pour lui donner un conseil, lui apprendre à tenir un marteau. Le maître est brutal, l’enfant est maladroit. Le maître méprise cette faiblesse, l’enfant a peur de cette force. Il fait ce qu’on lui dit de faire, serre sa vis du mieux qu’il peut. Mais ses mains sont remplies d’ampoules, d’écorchures, à lui donner la fièvre, à le faire pleurer. Par moments il n’a plus conscience de sa vie. Il lui semble qu’il fait partie lui aussi de cet outillage compliqué, qu’il est instrument parmi ces instruments, quelque chose comme une petite poulie sans conscience, sans volonté, tournant, sifflant avec tout l’engrenage, dirigé par une force occulte, invisible, qu’il connaît maintenant, qu’il admire et redoute : la vapeur !

C’est la vapeur qui entremêle au plafond de la halle toutes ces courroies de cuir qui montent, descendent, s’entrecroisent, correspondant à des poulies, à des marteaux, à des soufflets. C’est la vapeur qui remue le marteau-pilon et ces énormes raboteuses sous lesquelles le fer le plus dur s’amoindrit en copeaux ténus comme des fils, tordus, frisés comme des cheveux. C’est elle qui embrase les coins de la forge d’un jet de