Page:Daudet - Jack, I.djvu/366

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Après avoir parlé de lui, Bélisaire hésita une minute, ensuite il questionna à son tour :

— Qu’est-ce qu’il vous est donc arrivé, monsieur Jack, que vous voilà un ouvrier maintenant ? Elle était pourtant bien jolie la petite maison de là-bas.

L’apprenti ne savait quoi répondre. Il rougissait de son bourgeron, tout propre cependant du matin, de ses mains noires. Alors le camelot, le voyant gêné, s’interrompit :

— C’est le jambon qui était fameux, dites donc. Et cette belle dame, qui avait l’air si doux, comment va-t-elle ? C’était votre maman, n’est-ce pas ? Vous lui ressemblez.

Jack était si heureux d’entendre parler de sa mère, qu’il serait resté là jusqu’au soir, debout dans la rue, à causer ; mais Bélisaire n’avait pas le temps. On venait de lui donner une lettre très pressée à porter… Toujours le même clignement d’yeux du côté de la même fenêtre… Il était obligé de partir.

Ils se donnèrent une poignée de main, puis le camelot s’en alla, courbé, déhanché, souffreteux, levant les pieds en marchant comme un cheval borgne, et Jack le suivait d’un regard attendri, comme s’il avait vu la route de Corbeil, avec sa forêt en bordure, s’allonger, toute blanche, sous les pas fatigués de ce juif-errant colporteur.

Quand l’apprenti rentra, madame Roudic, très pâle, l’attendait derrière la porte.