Page:Daudet - Jack, I.djvu/374

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lire, ouvrir à son esprit tant de chemins déroutants. Il tenait à garder toutes ses forces, toutes ses pensées pour le but que sa mère lui montrait.

— Tu as raison, petit gas, lui dit Roudic. Les livres vous fourrent des fariboles dans la tête. Ça vous distrait du travail. On n’a pas besoin d’en savoir si long dans notre métier ; et puisque tu as la bonne volonté de l’apprendre, voici ce que je te propose. Je fais en ce moment des heures supplémentaires dans la soirée, et même le dimanche. Si tu veux, viens avec moi ; tout en travaillant, je t’apprendrai à dresser le fer. Je serai peut-être plus patient et plus heureux que Lebescam.

À partir de ce jour, il fut ainsi fait. Aussitôt après dîner, l’ajusteur, chargé d’un travail spécial, emmenait l’enfant avec lui dans l’usine déserte, éteinte, recueillie comme si elle eût préparé de nouvelles forces pour le labeur du lendemain. Une petite lampe posée sur un établi éclairait seule l’ouvrage du père Roudic. Tout le reste de l’atelier était plongé dans cette ombre fantastique où la lune découpe les objets par masses, sans les préciser. C’étaient des saillies, des déchiquètements tout le long des murs où les outils restaient accrochés. Les tours s’alignaient en longues files. Les cordes, les manivelles, les bobines s’entrecroisaient, arrêtées, immobiles, pendant que des copeaux de métal, des limailles luisaient par terre, craquaient sous chaque pas, tombés des établis comme la preuve de la besogne abattue.