Page:Daudet - Jack, I.djvu/380

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monde. Deux hommes sont montés sur le train qui va s’enlever avec elle à l’aide de câbles en fer se reliant tous au dessus du bouquet par un anneau monstrueux forgé d’un seul morceau. La vapeur siffle, le fifre redouble ses petites notes, pressées, joyeuses, encourageantes, la volée de la grue s’abaisse pareille à un grand cou d’oiseau, saisit la machine dans son bec recourbé, et l’enlève lentement, lentement, par soubresauts. À présent elle domine la foule, l’usine, Indret tout entier. Là, chacun peut la voir et l’admirer à son aise. Dans l’or du soleil où elle plane, elle semble dire adieu à ces halles nombreuses qui lui ont donné la vie, le mouvement, la parole même, et qu’elle ne reverra plus. De leur côté, les compagnons éprouvent en la contemplant la satisfaction de l’œuvre accomplie, cette émotion singulière et divine qui paye en une minute les efforts de toute une année, met au dessus de la peine éprouvée l’orgueil de la difficulté vaincue.

— Ça, c’est une pièce !… murmure le vieux Roudic grave, les bras nus, encore tout tremblant de l’effort du halage, et s’essuyant les yeux qu’aveuglent de grosses larmes d’admiration. Le fifre n’a pas cessé sa musique excitante. Mais la grue commence à tourner, à se pencher du côté du fleuve pour déposer la machine sur la chaloupe impatiente.

Tout à coup un craquement sourd se fait entendre, suivi d’un cri déchirant, épouvantable, qui trouve de