Page:Daudet - Jack, I.djvu/387

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elle y allait. Ces indolentes sont quelquefois terribles.

Jack savait tout cela. Le temps était passé où lui et le petit Mâdou se creusaient la tête pour chercher ce que c’était qu’une cocotte. L’atelier ouvre vite les yeux des enfants, il les déprave même ; et les ouvriers ne se gênaient pas devant lui pour appeler les choses par leur nom, distinguer les deux frères Roudic en disant « Roudic le chanteur » et « Roudic le · · · · · · · ·  » Et ils riaient ; car dans le peuple, ces sortes de hontes font rire. C’est le vieux sang gaulois qui le veut ainsi.

Jack ne riait pas, lui. Il plaignait ce pauvre mari si naïf, si aimant, si aveugle. Il plaignait aussi cette femme dont la faiblesse et la nonchalance se révélaient jusque dans sa façon de nouer ses cheveux, de laisser tomber ses mains, cette silencieuse absorbée qui avait toujours l’air de vous demander grâce. Il aurait voulu lui parler, lui dire : « Prenez garde… on vous épie… on vous surveille. » Et ce grand frisé de Nantais, s’il avait pu le tenir dans un coin, se hausser à sa taille pour le secouer, lui faire honte : « Allez-vous-en donc… laissez-la tranquille, cette femme ! »

Mais ce qui l’indignait, surtout, c’était de voir son ami Bélisaire jouer un rôle dans ces infamies. Le camelot, que son métier condamnait à courir les routes, servait de messager boiteux aux deux coupables, généreux comme deux amants. Plusieurs fois l’apprenti l’avait surpris glissant des lettres dans le tablier de madame Roudic, en échange de quelque monnaie, et