Page:Daudet - Jack, I.djvu/395

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Jack pensait à cela, un soir d’hiver, en rentrant chez les Roudic. Il faisait très noir ce soir-là. Près de la maison il se heurta à quelqu’un qui courait en frôlant les murs.

— C’est vous, Bélisaire ?

On ne répondit pas ; mais en poussant la porte, l’apprenti vit bien qu’il ne s’était pas trompé, et que Bélisaire avait passé par là. Clarisse était dans le corridor, décoiffée par le vent, blêmie par le froid de la rue, et si préoccupée que, même devant Jack, elle continua à lire la lettre qu’elle tenait, dans le filet de lumière qui glissait de la salle. Cette lettre devait lui apprendre quelque chose de bien extraordinaire. Alors Jack se souvint que dans la journée il avait entendu dire à l’atelier que le Nantais venait de perdre une grosse somme à Saint-Nazaire en jouant avec les mécaniciens d’un navire anglais arrivé depuis peu de Calcutta. Cette fois on se demandait comment il allait faire pour payer, et s’il ne sauterait pas du coup. C’est sans doute ce que la lettre annonçait ; il n’y avait qu’à voir l’émotion de Clarisse.

Dans la salle, Zénaïde et Mangin étaient seuls. Le père Roudic, parti depuis le matin pour Chateaubriand où se trouvaient les papiers de sa fille, ne devait rentrer que le lendemain, ce qui n’empêchait pas le beau brigadier de venir faire sa cour et dîner à Indret, où sa présence était autorisée par celle de madame Roudic. D’ailleurs il avait l’air très calme, ce