Page:Daudet - Jack, I.djvu/90

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Mais la destinée changea subitement.

« Moucié Bonfils » arriva un jour au gymnase Moronval, apportant des nouvelles sinistres du Dahomey. Le roi Rack-Mâdou-Ghézô était détrôné, prisonnier des Achantis qui venaient de s’emparer du pays et d’y fonder une dynastie nouvelle. Les troupes royales, les régiments d’amazones, tout avait été vaincu, dispersé, massacré, et Kérika, la seule échappée par miracle, réfugiée à la factorerie Bonfils, faisait prier Mâdou de rester en France et de bien conserver son gri-gri.

C’était écrit : si Mâdou ne perdait pas l’amulette, il régnerait !

Il fallait cette pensée pour relever le courage du pauvre petit roi. Moronval, qui ne croyait pas au gri-gri, présenta sa note — et quelle note ! — à moucié Bonfils, qui paya pour cette fois, tout en signifiant au maître de pension qu’à l’avenir, s’il consentait à garder Mâdou, il ne devait plus compter sur une rétribution immédiate, mais sur la reconnaissance et les bienfaits du roi aussitôt que les chances de la guerre le remettraient sur le trône. Il importait de choisir entre cette fortune aléatoire ou un renoncement absolu.

Moronval répondit avec noblesse : « Je me charge de l’enfant. »

Ce n’était déjà plus Son Altesse Royale.

Le respect perdu, rien ne subsista des soins, des attentions dont on avait comblé le petit nègre. Chacun lui en voulait d’une déception personnelle et de la