Page:Daudet - Jack, II.djvu/114

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besogne, aguerri à ce qu’elle avait de terrible, il supportait avec la même indifférence les longues et uniformes journées de la traversée et les heures de tempête, ces batailles contre la mer, si lugubres dans la chambre de chauffe, les voies d’eau, les « coups de feu, » le charbon enflammé roulant à travers la cale. Pour lui, ces terribles moments se confondaient avec les rêves ordinaires de ses nuits, visions de délire, cauchemars remuants et grouillants dont s’agite le sommeil des alcoolisés.

N’était-ce pas dans un de ces rêves, cette effroyable secousse qui ébranla tout le Cydnus, une nuit que le pauvre chauffeur dormait ? Ce coup sec et direct aux flancs du steamer, ce fracas épouvantable suivi de craquements, de brisures, ce bruit d’eau intérieur, ces paquets de mer tombant en cataractes, s’écoulant en minces ruisseaux, ces pas précipités, ces sonneries électriques qui se répondaient, cet émoi, ces cris, et, par-dessus tout, l’arrêt sinistre de l’hélice laissant le navire abandonné aux secousses silencieuses du roulis, tout cela n’était-ce pas dans un rêve ?… Ses camarades l’appellent, le secouent : « Jack !… Jack !… » Il s’élance, à demi nu. La chambre aux machines a déjà deux pieds d’eau. La boussole est cassée, les fanaux éteints, les cadrans renversés. On se parle, on se cherche dans la nuit, dans la boue : « Qu’est-ce qu’il y a ?… Qu’est-ce qu’il arrive ?