Page:Daudet - Jack, II.djvu/133

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fussent restés de cette étrange culture. L’un était un petit prince japonais, jeune homme d’un âge indéfini entre quinze ans et cinquante, et qui, n’ayant plus sa robe longue de mikado, paraissait tout petit, tout fluet, avec une toute petite canne, un tout petit chapeau, l’aspect d’une figurine de terre jaune tombée d’une étagère sur le trottoir parisien.

L’autre, un grand garçon dont on ne voyait que les yeux étroits et le front, tout le reste disparaissant dans une bouffissure tendue, sous une barbe noire et frisante comme du palissandre en copeaux, rappelait de vagues souvenirs à Jack, qui reconnut son vieil ami Saïd à certains bouts de cigares que l’Égyptien ne manqua pas de lui offrir dans une de leurs premières entrevues. L’éducation de cet infortuné jeune homme était finie depuis longtemps ; mais ses parents le laissaient à Moronval pour l’initier aux usages et coutumes du grand monde. À part lui, tous les habitués de la revue et des dîners bi hebdomadaires, le mulâtre, Hirsch, Labassindre, le neveu de Berzélius et les autres prenaient pour parler à Jack le même ton protecteur, condescendant et familier. On eût dit quelque pauvre diable admis par faveur à la table d’un riche patron.

Il n’était resté « monsieur Jack » que pour une seule personne, la douce et excellente madame Moronval-Decostère, toujours semblable à elle-même, avec son grand front solennel et luisant et sa petite robe noire,