Page:Daudet - Jack, II.djvu/139

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serte : « M. le comte de…, au château de…, à Mettray, près Tours. » C’est à Charlotte qu’on le devait, celui-là.

Mais cette absence de recettes n’empêchait pas les frais de continuer, ni les rédacteurs de se présenter tous les cinq du mois pour toucher le prix de leur copie augmenté de quelques avances. Moronval surtout était insatiable. Après être venu lui-même, il envoyait sa femme, Saïd, le p’ince japonais. D’Argenton était furieux, mais il n’osait refuser. Sa vanité était si gourmande, et le mulâtre avait tant de sucreries et de douceurs dans ses poches. Toutefois, quand la rédaction était ruinée, de peur qu’on ne s’avisât de suivre l’exemple de Moronval, le directeur ne manquait pas de se lamenter, d’opposer à tous les emprunts la même barrière infranchissable : « Mon comité d’actionnaires me le défend absolument. » Il était là dans un coin, le comité d’actionnaires, comité sans le savoir, composé d’un seul membre, occupé à fixer des bandes avec un pinceau et un grand pot de colle. De même qu’il n’y avait à la revue qu’un abonné, « Bon ami, » il n’y avait qu’un actionnaire, Jack, avec l’argent de « Bon ami. »

Ni Jack ni personne ne s’en doutait : mais d’Argenton le savait, lui, et c’était une gêne, une honte vis-à-vis de lui-même, vis-à-vis surtout de l’enfant de cette femme, qu’il se prenait à haïr comme autrefois.