Page:Daudet - Jack, II.djvu/150

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quet indéfinissable, je ne sais quel arome de printemps divin, quelque chose de sain, de vivifiant et de pur, où toutes les grâces de Charlotte, son rire joyeux et ses grands gestes auraient singulièrement détonné.

Tout à coup, pendant qu’il se tenait là extasié devant elle, son regard en s’abaissant rencontra une de ses mains à lui posée à plat sur sa cotte avec cette gaucherie que les membres des travailleurs ont dans l’immobilité. Elle lui parut énorme, cette main, noire, indélébilement noire, traversée d’éraillures et de coupures, terminée par des ongles cassés, durcie, tannée au contact du fer et du feu. Il en avait honte, ne savait où la cacher. Il s’en débarrassa en la mettant dans sa poche. Mais c’était fini. Une lucidité subite lui était venue sur toutes les disgrâces de sa personne. Il se voyait assis sur cette chaise, affaissé, les jambes écartées, ridiculement vêtu d’un pantalon de travail et d’une ancienne veste en velours de d’Argenton, trop courte pour ses bras. (C’était sa destinée les vêtements trop courts.)

Qu’est-ce qu’elle devait penser de lui ? Comme il fallait qu’elle fût bonne et indulgente pour ne pas rire tout haut sans se gêner, car elle savait rire en dépit de son air sérieux, et on devinait une foule de petits lutins moqueurs tapis dans les ailes mobiles de son petit nez si correct, dans les coins de ses lèvres roses un peu fortes et finement arquées.

À cette gêne physique qu’il éprouvait il s’en joi-