Page:Daudet - Jack, II.djvu/158

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sont à peu près indifférentes, quand rien dans l’entourage ne vient outrageusement les rappeler, et Jack avait vécu dans un monde très peu scrupuleux, passant de la société des Ratés à cette classe ouvrière où toutes les fautes ont leur excuse dans la misère, où les familles d’adoption sont plus nombreuses que partout ailleurs. N’ayant jamais entendu parler de son père, il ne s’en était jamais préoccupé ; à peine avait-il senti cette affection manquer à côté de lui, comme un sourd-muet peut se rendre compte des sens qui lui font défaut, sans connaître toute l’étendue de leur utilité ou des jouissances qu’ils procurent.

Maintenant, cette question de naissance l’occupait plus que tout le reste. Quand Charlotte lui avait dit le nom de son père, il était resté parfaitement calme devant cette révélation surprenante ; à cette heure, il aurait voulu la questionner, lui arracher des détails, des aveux même pour se faire une image précise de ce père inconnu… Marquis de l’Épan !… Était-il réellement marquis ? N’y avait-il pas là quelque imagination nouvelle de ce pauvre petit cerveau toujours affolé de titres et de noblesse ? Était-ce bien vrai aussi qu’il fût mort ? Sa mère ne lui avait-elle pas dit cela pour éviter de raconter quelque histoire de rupture, d’abandon, dont elle aurait eu à rougir devant lui ? Et s’il vivait pourtant, ce père, s’il était assez généreux pour réparer sa faute, pour donner son nom à son fils.

« Jack, marquis de l’Épan ! »