Page:Daudet - Jack, II.djvu/166

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Quelle honte !

— Comme tu as mauvaise mine, mon Jack, dit Charlotte, s’interrompant tout à coup d’une longue histoire romanesque où elle s’était lancée avec fougue à la suite de son lieutenant de vaisseau, tes mains sont glacées. J’ai eu tort de t’amener sur le balcon.

— Ce n’est rien, dit Jack avec effort, cela se passera en marchant.

— Comment ! tu t’en vas déjà ? Oui, au fait, tu as raison, il vaut mieux que tu rentres de bonne heure… Avec ce mauvais temps… Allons, embrasse-moi.

Elle l’embrassa bien tendrement, releva le collet de sa veste, lui donna un tartan à elle à cause du froid, glissa un peu d’argent dans sa poche. Elle s’imaginait que le nuage de tristesse répandu sur sa figure lui venait à la vue de ces préparatifs d’une fête à laquelle il n’assisterait pas ; aussi avait-elle hâte de le voir partir, et quand sa bonne vint l’appeler : « Madame, c’est le coiffeur… » elle en profita pour presser les adieux :

— Tu vois, il faut que je te quitte… Soigne-toi bien… Écris plus souvent.

Il descendit lentement, accroché à la rampe. La tête lui tournait.

Oh ! non, ce n’était pas leur fête de ce soir qui lui serrait le cœur ; mais la pensée de toutes les autres fêtes où il n’avait pas été convié dans la vie, la fête des enfants qui ont un père et une mère à aimer, à respecter, la fête de tous ceux qui ont un nom à eux, un