Page:Daudet - Jack, II.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Surtout, mon Jack, si tu as à m’écrire, envoie ta lettre poste restante à Paris. Tu comprends, il est très irrité contre toi en ce moment. Il faut que j’aie l’air fâchée, moi aussi. Ne t’étonne pas si tu reçois de moi quelque discours. Il est toujours là quand je t’écris. Souvent même il me dicte… Tiens, sais-tu ?… Je ferai une petite croix dans le bas de la lettre qui voudra dire : « Ça ne compte pas. »

Elle avouait ainsi naïvement combien elle était esclavagée ; et ce qui pouvait consoler Jack de cette tyrannie qui opprimait sa mère, c’était de voir cette pauvre insensée s’en aller si gaie, si jeune, avec sa toilette si bien drapée autour d’elle, et son sac de voyage qu’elle portait suspendu à son bras aussi allègrement, aussi légèrement que n’importe quel fardeau qu’il eût convenu à la vie de l’accabler.

Avez-vous regardé quelquefois ces fleurs d’eau dont les longues tiges partent du fond des rivières, montent en s’allongeant, en se recourbant à travers tous les obstacles de la végétation aquatique, pour éclater enfin à la surface en corolles magnifiques, arrondies comme des coupes, embaumées de parfums très doux que l’amertume, la verdeur des flots relève d’un goût un peu sauvage ? Ainsi grandissait l’amour dans le cœur de ces deux enfants. Cet amour venait de bien loin, de leur plus tendre enfance, de ce temps où toute graine jetée porte un germe et la promesse d’une floraison. Chez