Page:Daudet - Jack, II.djvu/196

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Oui, elle l’aimait, et, si grands que fussent son mépris et sa haine, l’amour était encore plus fort dans son cœur. Ce qui la tua certainement, ce fut le remords de continuer à aimer un être indigne ; car elle mourut bientôt, quelques jours après nous avoir donné notre petite Cécile. On eût dit qu’elle n’avait attendu que cela pour s’en aller. Nous trouvâmes sous son oreiller une lettre pliée, usée aux plis, la seule que Nadine lui eût écrite avant son mariage, et dont les lignes étaient effacées, trempées de larmes. Elle avait dû la relire souvent, mais elle était bien trop fière pour en convenir, et elle mourut sans prononcer une seule fois ce nom qu’elle avait, j’en suis sûr, toujours au bord des lèvres.

Tu es étonné, n’est-ce pas, mon enfant, que dans une petite maison tranquille, au village, il ait pu tenir un de ces drames noirs et compliqués qui ne semblent possibles que dans la confusion de grandes villes comme Londres ou Paris. Quand le destin atteint ainsi par hasard un coin si bien caché derrière des haies et des bois d’aulnes, il me fait penser à ces balles perdues tuant pendant la bataille un laboureur au bord du champ ou un enfant qui revient de l’école. C’est la même barbarie aveugle.

Je crois que si nous n’avions pas eu la petite Cécile, ma femme serait morte avec sa fille. Sa vie, à partir de ce jour, ne fut qu’un long silence, gros de regrets et de reproches. Tu l’as vu, du reste… Mais il fallait