Page:Daudet - Jack, II.djvu/200

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mon esprit. Je vous voyais à vingt ans, venant me dire :

— Grand-père, nous nous aimons.

Et moi je répondais :

— Je crois bien qu’il faut vous aimer, et vous aimer bien fort, pauvres petits réprouvés que vous êtes… car dans la vie vous serez tout l’un pour l’autre.

Voilà pourquoi tu m’as vu si terriblement en colère, quand cet homme a voulu faire de toi un ouvrier. Il me semblait que c’était mon enfant, le mari de ma petite Cécile, qu’on m’enlevait. Tout mon plan merveilleux s’écroulait, jeté de la même hauteur d’où l’on te précipitait dans l’action. Que je les ai maudits, tous ces fous, avec leurs visées humanitaires. Pourtant, je gardais encore un espoir. Je me disais : « Les rudes épreuves du commencement font souvent des hommes bien trempés. Si Jack prend le dessus de sa tristesse, s’il lit beaucoup, s’il garde sa tête dans l’idéal pendant que ses bras s’agiteront, il restera digne de la femme que je lui destine. » Les lettres que nous recevions de toi, si tendres, si élevées, m’entretenaient dans ces pensées. Nous les lisions ensemble, Cécile et moi, et l’on parlait de toi tous les jours.

Tout à coup, la nouvelle de ce vol. Ah ! mon ami, je fus épouvanté. Combien j’en voulais à la faiblesse de ta mère, à la tyrannie de ce monstre qui t’avaient perdu en te jetant sur une mauvaise route. Je respectai cependant la sympathie, la tendresse qu’il y avait pour