Page:Daudet - Jack, II.djvu/229

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Jack, que ses compagnons purent voir à la portière, causant avec une femme encore jeune, d’une élégance un peu voyante. Le bruit se répandit qu’il avait une maîtresse crânement « gironde. » On le complimenta, on crut voir là une de ces liaisons étranges, mais assez fréquentes, par lesquelles certaines rouleuses, sorties du faubourg, une fois riches et lancées, reviennent au ruisseau natal. C’est une rencontre dans un bal de barrière, où madame est allée par chic, ou bien sur ce chemin de courses qui traverse les quartiers pauvres. Ces ouvriers-là sont mieux mis que les autres ; ils ont l’air faraud, le regard dédaigneux et distrait des hommes que les reines ont choisis.

Pour Jack, ces soupçons étaient doublement outrageants, et sans les communiquer à Charlotte, il allégua, pour l’empêcher de revenir, le règlement de l’atelier, interdisant toute sortie pendant les heures de travail. Dès lors ils ne se virent plus que de loin en loin dans des jardins publics, dans des églises surtout, car ainsi que toutes ses pareilles, elle devenait dévote en vieillissant, par un débordement de sentimentalité inactive, et aussi par un goût des honneurs, des cérémonies, le besoin de satisfaire ses dernières vanités de jolie femme, en s’agenouillant sur un prie Dieu, à l’entrée du chœur, les jours de sermon. Dans ces rares et courts rendez-vous, Charlotte parlait tout le temps selon son habitude, quoique d’un air triste, un peu fatigué. Elle se disait pourtant très tranquille, très heureuse, pleine