Page:Daudet - Jack, II.djvu/235

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La clef tourne de plus en plus à gauche. Le camelot, impatienté, va ouvrir, sa cafetière à la main, et Charlotte se précipite dans la chambre. Bélisaire, stupéfait de cette invasion de volants, de plumes, de dentelles, fait de grandes révérences, sautille sur ses jambes cagneuses, frotte le carreau avec enthousiasme, pendant que la mère de Jack, qui ne reconnaît pas l’être hirsute et mal peigné qu’elle a devant elle, s’excuse et recule vers la porte :

— Pardon, monsieur… je me trompais.

Au son de cette voix, Jack a levé la tête, et s’élance :

— Mais non, maman… tu ne te trompes pas.

— Ah ! mon Jack, mon Jack.

Elle se jette à son cou, se réfugie entre ses bras.

— Sauve-moi, Jack, défends-moi… Cet homme, ce misérable à qui j’ai tout donné, tout sacrifié, ma vie, celle de mon enfant ; il m’a battue, oui, il vient de me battre… Ce matin, quand il est rentré, après deux nuits passées dehors, j’ai voulu lui faire quelques observations. C’était mon droit, je pense… Alors le misérable s’est mis dans une colère affreuse, et il a levé la main sur moi, sur moi, sur m…

La fin de sa phrase se perd dans une explosion de larmes, de sanglots effrayants. Dès les premiers mots de la malheureuse femme, Bélisaire s’est retiré discrètement, en refermant la porte sur cette scène de famille. Jack, debout devant sa mère, la regarde, plein de terreur et de pitié. Comme elle est changée,