Page:Daudet - Jack, II.djvu/237

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faire rapporter de gros intérêts, mais les dix mille francs ont été engloutis avec tant d’autres, et quand je lui ai demandé s’il ne t’en tiendrait pas compte, car enfin, dans ta position, cet argent-là aurait pu te rendre bien service, sais-tu ce qu’il a fait ? Il a dressé une longue note de tout ce qu’il a dépensé pour toi dans le temps, pour ton entretien, ta nourriture à Étiolles, chez Roudic. Il y en a pour quinze mille francs. Mais, comme il dit, il n’exige pas d’autre restitution. C’est généreux, hein ?… Pourtant j’avais tout supporté, ses injustices, ses méchancetés, les fureurs qui le prenaient à cause de toi, l’indigne façon dont il parlait avec ses amis de cette affaire d’Indret, comme si ton innocence n’avait pas été reconnue, proclamée, oui, même cela je le souffrais, parce qu’enfin tout ce qu’ils pouvaient dire ne m’empêchait pas de t’aimer, de penser à toi cent fois dans le jour. Mais me laisser deux nuits de suite dans tous les tourments de l’attente, de la jalousie, me préférer je ne sais quelle fille de théâtre, quelle femme perdue du faubourg Saint-Germain (il paraît qu’elles sont comme des enragées après lui, toutes ces comtesses), accueillir mes reproches avec des airs dédaigneux, des haussements d’épaules, et dans un accès de colère oser me frapper, moi, moi, Ida de Barancy ! C’était trop pour ma fierté, pour mon amour-propre. Je me suis habillée, j’ai mis mon chapeau. Puis je me suis plantée en face de lui, et je lui ai dit ceci : « Regardez-moi bien, monsieur d’Argenton, c’est la dernière fois de