Page:Daudet - Jack, II.djvu/255

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que tout était prêt, qu’on n’avait plus qu’à se mettre à table, et l’on reprit bien vite la route du restaurant.

Le couvert était mis dans une de ces grandes salles séparées par des cloisons mobiles, peintes de couleurs fades, agrémentées de dorures et de glaces toutes pareilles. On entendait parfaitement ce qui se passait d’une pièce à l’autre, les rires, les chocs de verres, et les appels aux garçons, et les sonnettes impatientes. Avec la buée chaude qui régnait là-dedans, le petit jardin en quinconces sous les fenêtres, on se serait cru dans quelque vaste établissement de bains. Ici comme à la mairie, les invités furent pris d’abord d’un craintif respect devant cette grande table servie, ornée à ses deux bouts d’un bouquet d’oranger artificiel, de pièces montées invraisemblables, de sucreries vertes et roses, le tout immuable depuis des siècles, préparé pour des noces permanentes, pointillé par des générations de mouches, qui venaient s’y poser encore malgré les coups de serviettes des garçons. En attendant madame de Barancy, qui n’arrivait pas, on prit place. Le marié voulait se mettre à côté de sa femme, mais la sœur de Nantes dit que cela ne se faisait plus, que ce n’était pas convenable, qu’il fallait les placer en face l’un de l’autre. Ce qui fut fait, mais après un long débat, pendant lequel le vieux Bélisaire, se tournant vers sa nouvelle bru, lui demanda d’un ton très désagréable :