Page:Daudet - Jack, II.djvu/258

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l’églantine du gymnase Moronval. Les convives se jetaient des regards effarés, épiaient leurs voisins pour voir comment ils s’y prenaient, quel était celui de leurs nombreux verres de formes différentes qu’il fallait tendre au garçon. Le « Camarade » s’en tirait, lui, en buvant tout dans le même, le plus grand. C’est égal, tant d’inquiétudes et de gênes avaient mis un froid excessif dans le début de ce repas-illusion. Ce fut la mariée qui, la première, surmonta cette situation ridicule. L’excellente femme, chez qui un raisonnement très juste faisait bien vite la lumière, se rassura elle-même en s’adressant à son enfant.

— Te gêne pas, m’ami, lui disait-elle, te gêne pas, mange de tout. Ça nous coûte assez cher pour que nous nous régalions.

Cette parole pleine de sagesse eut son effet sur l’assemblée, et bientôt un formidable bruit de mâchoires et de rires circula autour de la table, où la corbeille au pain était surtout très demandée. Seule, la tribu Bélisaire détonnait au milieu de la gaieté générale. Les jeunes chuchotaient, ricanaient sournoisement ; le vieux parlait tout haut d’une voix cassante, se pouffait d’un rire ironique en regardant son fils, qui lui montrait pourtant beaucoup de respect et, à travers la table, recommandait à la mariée « l’assiette du père, » « le verre du père. » À les voir tous réunis là, ces affreux Bélisaire rapaces et clignotants, on se demandait comment madame Weber avait pu soustraire son pauvre camelot à leur ty-