Page:Daudet - Jack, II.djvu/269

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sieste sur un banc des boulevards extérieurs ou dans quelque chantier de démolition. Quant au marteau, c’était un attribut, pas autre chose ; il le portait comme l’Agriculture, sur les places publiques, soutient sa corne d’abondance, sans en rien laisser tomber jamais. Tous les matins, avant de sortir, il disait en le brandissant : « Je vais chercher de l’ouvrage… » Mais il faut croire que son geste, la façon dont il parlait dans sa barbe farouche, en roulant des yeux flamboyants, devait faire peur à l’ouvrage, car jamais le Camarade ne le rencontrait sur sa route, et il passait tout son temps à rôder dans le faubourg d’un cabaret à un autre, « à faire sa panthère, » comme disent les ouvriers parisiens, par allusion sans doute à ce mouvement de va-et-vient qu’ils voient aux fauves encagés, dans leurs promenades du dimanche au Jardin des Plantes.

Bélisaire et sa femme prirent patience d’abord. L’air sententieux du Camarade leur imposait un peu ; et puis, il chantait si bien : « Le travail plaît à Dieu ! » Mais comme en fin de compte il mangeait d’un fort bon appétit, les nouveaux mariés, qui s’escrimaient du matin au soir pendant que l’autre faisait sa panthère toute la semaine et n’apportait jamais rien le jour de la Sainte-Touche, commencèrent à se lasser. L’avis de madame Bélisaire était de le renvoyer tout bonnement, de le rendre à la rue, au tas de balayures où le camelot avait dû le ramasser dans son désir d’avoir un camarade. Mais Bélisaire, que le bonheur parfait dont