Page:Daudet - Jack, II.djvu/304

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haine satisfaite, la pensée du désappointement de Jack revenant du travail et trouvant l’oiseau déniché. Voici le plan qu’il avait fait : paraître devant elle à l’improviste, tomber à ses pieds, profiter du trouble, de l’égarement où la surprise la mettrait pour l’enlacer, l’envelopper, lui dire : « Viens, partons ! » la faire monter en voiture, et bon voyage ! Ou elle serait bien changée depuis trois mois, ou elle ne résisterait pas à l’entraînement. Voilà pourquoi il ne l’avait pas prévenue, pourquoi il marchait doucement dans le couloir afin de mieux la surprendre. Sombre couloir suant la misère de toutes ses lézardes, et dont les nombreuses portes avec leurs clefs en évidence semblaient dire : « Il n’y a rien à voler ici… Entre qui veut. »

Il entra vivement, sans frapper, avec un « C’est moi » mystérieusement modulé.

Cruelle déception, déception éternelle attachée aux pas majestueux de cet homme ! Au lieu de Charlotte, ce fut Jack qu’il trouva debout devant lui, Jack qu’une fête de ses patrons avait fait libre pour une journée et qui feuilletait activement ses livres, pendant que Ida, étendue sur son lit dans l’alcôve, abrégeait comme tous les jours l’ennui de son oisiveté par une sieste de quelques heures. En présence l’un de l’autre, les deux hommes se regardèrent stupéfaits. Cette fois, le poëte n’avait pas l’avantage. D’abord, il n’était pas chez lui ; puis comment traiter en inférieur ce grand garçon à la mine intelligente et fière, où quelque chose de la