Page:Daudet - Jack, II.djvu/311

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dirait qu’avant de me frapper, le destin m’avertit par une sorte de pitié, pour que ses coups me soient moins douloureux. Elle ne vint pas. Bélisaire arriva seul, très tard, avec un billet qu’elle lui avait donné pour moi. Ce n’était pas long, rien que quelques mots écrits en hâte, m’annonçant que M. d’Argenton était très malade et qu’elle considérait comme un devoir d’aller s’asseoir à son chevet. Sitôt qu’il serait guéri, elle reviendrait. Malade ! je n’avais pas pensé à cela. Sans quoi, j’aurais pu me faire plaindre, moi aussi, et la retenir à mon chevet comme il l’appelait au sien… Oh ! qu’il la connaissait bien, ce misérable ! Comme il avait étudié ce cœur si faible et si bon, empressé à se dévouer, à protéger ! Vous les avez soignées, ces crises bizarres dont il se plaignait à Étiolles et qui se dissipaient si vite à table, après un bon dîner. C’est de ce mal qu’il est repris. Mais ma mère, heureuse sans doute d’une occasion de rentrer en grâce, s’est laissé prendre à cette feinte. Et dire que si je tombais malade, vraiment malade, elle ne me croirait peut-être pas ! Pour en revenir à ma lamentable histoire, me voyez-vous tout seul dans mon petit pavillon, au milieu de mes préparatifs de bienvenue, après tant de courses, d’efforts, d’argent dépensé en pure perte ? Ah ! cruelle, cruelle… Je n’ai pas voulu rester là. Je suis retourné à mon ancienne chambre. La maison m’eût semblé trop triste, triste comme une maison de morte ; car pour moi ma mère y avait habité déjà. Je suis