Page:Daudet - Jack, II.djvu/36

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vieux maître à danser de sa mère lui a apprise quand il était enfant :

À la Monaco
L’on chasse et l’on déchasse.

Et il chasse, et il déchasse, puis la table croule, et il roule avec elle parmi des débris, des cris, un tumulte effroyable de vaisselle brisée.

Affaissé sur un banc, au milieu d’une place déserte, inconnue, où se dresse une église, il a encore la mesure de son pas dans l’idée : « À la Monaco, l’on chasse et l’on déchasse. » C’est tout ce qui reste de la journée dans sa tête vide, aussi vide que son gousset… Le matelot ? Parti… Gascogne ? Disparu… Il est seul à cette heure du crépuscule où la solitude se sent dans toute son amertume. Le gaz jaune s’allume isolément par flambées aussitôt reflétées dans la rivière et les ruisseaux. Partout l’ombre flotte, comme une cendre amoncelée sur le foyer du jour encore vaguement éclairé. Dans cette ombre, l’église noie peu à peu ses contours massifs. Les maisons n’ont plus de toits, les navires plus de huniers. La vie descend au ras du sol à la hauteur des rayons tombant de quelques rares boutiques.

Après les cris, les chants, les larmes, le désespoir, la grande joie, Jack arrive maintenant à la terreur. À la page lugubre du triste livre qu’il a lu tout le jour, il y a écrit : Néant. Sur celle-là : Néant et Nuit…