Page:Daudet - Jack, II.djvu/88

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d’honneur, et des protestations d’amitié. Une seule chose manquait à son bonheur : Bélisaire !

La cage à peine ouverte, sitôt qu’on lui avait dit : « Vous êtes libre… » le camelot était parti sans rien demander. Tout cela lui paraissait si trouble, la peur d’être repris le talonnait si fort que sa seule pensée était de fuir, de reprendre les routes de toute la vitesse possible à ses pauvres pieds blessés. Jack avait été désolé en apprenant ce départ si prompt. Il aurait voulu s’excuser auprès de ce malheureux, roué de coups pour lui, emprisonné deux jours, et presque ruiné par le désastre de sa marchandise. Ce qui l’affligeait surtout, c’était de penser que sûrement Bélisaire était parti en le croyant coupable, puisqu’il n’avait laissé à personne le temps de le détromper ; et l’idée que ce misérable coureur de grand chemin le prenait pour un voleur mettait une ombre à sa joie.

Malgré cela, il avait déjeuné de bon cœur aux fiançailles du brigadier et de Zénaïde, et dansait comme les autres « au son des bouches, » quand d’Argenton fit son entrée. L’apparition du poëte, majestueux et ganté de noir, produisit sur la joyeuse assemblée le même effet qu’un émouchet tombant au milieu d’une grande partie de barres d’hirondelles. C’est que lorsqu’on s’est fait ce qu’on appelle une tête de circonstance, il n’est pas commode de la transformer subitement. L’attitude de d’Argenton le prouva bien. On eut beau lui expliquer que l’argent était retrouvé,