Page:Daudet - Jack, II.djvu/92

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textes, des subterfuges, quelque raison ayant une apparence de justice et pouvant surtout se formuler avec de grands mots. Cette raison-là ce fut Jack qui la lui fournit.

Figurez-vous que ce pauvre petit Jack, pris à cette douceur inusitée, eut tout à coup un élan, un besoin de confiance, et s’avisa d’avouer à M. d’Argenton que décidément il ne se sentait aucun goût pour l’existence qu’il menait, qu’il ne ferait jamais un bon ouvrier, qu’il était trop seul, trop loin de sa mère, qu’on pourrait peut-être lui trouver une vie plus conforme à ses goûts, plus en rapport avec ses forces… Oh ! ce n’était pas le travail qui lui faisait peur !… Seulement il aurait voulu un travail où les bras eussent moins à faire, et le cerveau un peu plus.

En parlant ainsi, Jack serrait la main du poëte et la sentait à mesure se détendre, se refroidir, se retirer. Subitement, il retrouva devant lui le visage impassible, le regard bleu-cruel de l’ancien « ennemi. »

— Vous me faites beaucoup de peine, Jack, beaucoup de peine ; et votre mère serait désolée si elle vous voyait dans des dispositions pareilles. Vous avez donc oublié ce que je vous ai dit tant de fois : « Il n’y a pas de pires êtres au monde que les rêveurs… Méfions-nous des utopies, des rêvasseries… Ce siècle est un siècle de fer… À l’action, Jack, à l’action ! »

Il dut en entendre comme cela pendant une heure, le malheureux enfant, une heure de cette morale au-