Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/190

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deuils, d’autres tristesses ; il pensait à des parents morts, à sa soeur, une mère pour lui, condamnée par tous, et le sachant, en parlant dans toutes ses lettres. Hélas ! vivrait-elle même jusqu’au jour du triomphe ?… Des larmes l’aveuglèrent, l’obligèrent à s’essuyer les yeux.

« C’est trop… c’est trop… On ne vous croira pas … » ricanait dans son oreille la grimace du gros Lavaux. Il se retourna indigné, mais la voix du jeune officier commanda furieusement : « Portez… armes !… » et les fusils firent cliqueter leurs baïonnettes, tandis que l’orgue grondait « la marche pour la mort d’un héros. » Le défilé de la sortie commençait ; toujours le bureau en tête, Gazan, Laniboire, Desminières, son bon maître Astier-Réhu. Tous très beaux maintenant, noyant dans le mystère des hautes voûtes le vert perroquet chamarré des uniformes, ils descendaient la nef deux par deux, très lentement, comme à regret, vers ce grand carré de jour découpé au portail ouvert. Derrière, toute la compagnie, cédant le pas à son doyen, l’extraordinaire Jean Réhu grandi par une longue redingote, portant haut sa toute petite tête brune, creusée dans une noix de coco, d’un air dédaigneux et distrait signifiant qu’il avait « vu ça » un nombre incalculable de fois ; et, de fait, depuis soixante ans qu’il touchait les jetons de l’Académie, il avait dû en entendre de