Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/22

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En réalité, Mme Astier n’était pas de celles qui ne peuvent se décider à vieillir. Longtemps avant l’heure du couvre-feu, peut-être aussi n’y avait-il jamais eu grand feu chez elle, toute sa coquetterie, tout son désir féminin de conquérir et de séduire, ses ambitions glorieuses, élégantes ou mondaines, elle les avait mises dans son fils, ce grand joli garçon de vingt-huit ans, à la tenue correcte de l’artiste moderne, la barbe légère, les cheveux ras au front, et dans l’allure, l’encolure, cette grâce militaire, que le volontariat laisse à la jeunesse de maintenant.

« Ton premier est-il loué ? demanda enfin la mère.

— Ah oui ! loué ! … pas un chat ! les écriteaux, les annonces, rien n’y fait… Comme disait Védrine à son exposition particulière : Je ne sais pas ce qu’ils ont, ils ne viennent pas. »

Il se mit à rire doucement ; il voyait la belle fierté paisible et convaincue de Védrine au milieu de ses émaux, de ses sculptures, s’étonnant sans colère de l’abstention du public. Mais Mme Astier ne riait pas : ce premier superbe vacant depuis deux ans ! … Rue Fortuny ? un quartier magnifique, une maison style Louis XII… bâtie par son fils, enfin ! … Qu’est-ce qu’ils demandaient donc ? … Eux, ils, probablement les mêmes qui n’allaient pas chez Védrine… Et cassant entre ses dents le fil de sa couture :