Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/232

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tion, en gentleman qui n’en est pas à sa première affaire et sait ce que valent deux bons témoins, toute sa figure changea brusquement, devint terreuse, montra sous sa barbe affaissée comme un décrochement de mâchoire, l’affreuse grimace de la peur. Néanmoins il se tenait et vint assez vaillamment en garde.

« Allez, messieurs. »

Oui, tout se paie. Il en eut l’intime sensation devant cette pointe implacable qui le cherchait, le tâtait à distance, semblait ne le ménager là ou là que pour le frapper plus sûrement. On voulait le tuer … c’était sûr. Et tout en rompant, son grand bras maigre allongé, dans le fracas des coquilles, un remords lui venait pour la première fois de l’ignoble abandon de sa maîtresse, de celle qui l’avait tiré de la boue et remis au monde, le sentiment aussi que la juste colère de cette femme n’était pas étrangère au danger pressant, enveloppant, qui tout autour de lui semblait bouleverser l’atmosphère, faisait tourner et reculer dans un éclairage de rêve le ciel agrandi au-dessus de sa tête, les silhouettes effarées des témoins, des médecins, jusqu’aux gestes éperdus de deux garçons d’écurie chassant à coups de casquette les chevaux bondissants qui voulaient s’approcher et voir. Tout à coup, des voix violentes, brutales : « Assez !… assez !… Arrêtez donc… » Que s’est-il