Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/241

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cet instant de la même nuit, l’inspecteur général faisant, sur un aviso de l’État, sa tournée annuelle, se trouve en face des Sanguinaires, s’étonne d’y voir une lumière fixe, fait stoper, surveille, constate, et le lendemain la chaloupe des ponts et chaussées amène un gardien de rechange dans l’île avec la notification de l’immédiate mise à pied du pauvre vieux. « Je crois, disait Védrine, que c’est un rare exemple de contre-veine, la conjonction dans la nuit, dans le temps et l’espace, de ce regard d’inspection et de ce court sommeil de veilleur. » Son grand geste calme montrait au-dessus de la place de la Concorde où leur voiture arrivait, un large morceau de ciel d’un vert sombre, piqué çà et là de naissantes étoiles, visibles au fond du beau jour qui mourait.

Quelques instants après le landau entrait dans la rue de Poitiers, très courte, assombrie déjà, s’arrêtait devant le haut portail écussonné de l’hôtel Padovani, toutes ses persiennes fermées, un ramage d’oiseaux dans les arbres du jardin. La duchesse était partie, en villégiature à Mousseaux pour la saison. Freydet hésitait, sa grande enveloppe à la main. Préparé à voir la belle Antonia, à faire un émouvant récit du duel, peut-être à glisser un mot de sa prochaine candidature, maintenant il ne savait plus s’il devait poser la lettre, ou s’il la porterait lui-même, dans trois ou