Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/31

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note humaine et naturelle, l’enfant ; et cette note troubla l’harmonie. Tout d’abord rien ne se réalisa de ce que le père voulait pour son fils, lauriers universitaires, nominations au grand concours, puis l’École Normale et le professorat. Paul, au lycée, n’eut que des prix de gymnastique et d’escrime, se distingua surtout par une cancrerie volontaire, entêtée, cachant un esprit pratique et le sens précoce de la vie. Soigneux de sa tenue, de sa figure, il n’allait jamais en promenade sans l’espoir hautement déclaré entre gamins, de « lever une femme riche. » Deux ou trois fois, devant le parti-pris de paresse, le père avait voulu sévir brutalement, à l’auvergnate ; mais la mère était là pour excuser et protéger. Astier-Réhu grondait, faisait claquer sa mâchoire, cette mâchoire en avant qui lui avait valu le surnom de Crocodilus aux années de professorat ; en dernière menace il parlait de faire sa malle et de s’en retourner planter ses vignes à Sauvagnat.

« Oh ! Léonard, Léonard… » disait Mme Astier doucement narquoise ; et il n’en était pas autre chose. Un jour, pourtant, il faillit la boucler pour de bon, sa malle, quand après trois ans d’architecture à l’école des Beaux-Arts, Paul Astier refusa de concourir pour le prix de Rome. Le père bégayait d’indignation : « Malheureux, mais Rome… tu ne sais donc pas… Rome, c’est l’In-