Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/310

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— Eh bien ! restons à Mousseaux. »

Il s’inclina dans une douce ironie : « Votre architecte n’y a plus rien à faire.

— Bah ! nous lui trouverons bien de l’ouvrage… dussé-je mettre la feu au château cette nuit… »

Elle riait de son beau rire passionné, se serrait contre lui, prenait ses mains dont elle se caressait le visage, des folies ! mais pas le mot que Paul attendait, qu’il essayait de lui faire dire. Alors, lui, violemment : « Si vous m’aimez, Maria-Antonia, laissez-moi partir ; j’ai mon existence à faire et celle des miens… On ne me pardonnerait pas de l’accepter d’une femme qui n’est pas ma femme, qui ne le sera jamais. »

Elle comprit, ferma les yeux comme devant l’abîme, et, dans le grand silence qui suivit, on entendait sous une brise les feuilles tomber dans tout le parc, les unes encore lourdes de sève, glissant par paquet de branche en branche, d’autres furtives, impalpables, en frôlements de robe, et tout autour du pavillon, sous les érables, on eût dit des pas, un piétinement de foule silencieuse qui rôdait. Elle se leva frissonnante : « Il fait froid, rentrons. » Son sacrifice était fait. Elle en mourrait, sans doute, mais le monde ne verrait pas cet abaissement de la duchesse Padovani en Madame Paul Astier, épousant son architecte.