Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/352

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avoir marché longtemps le long de l’eau ; et les bonnes paroles du disciple aidant la douceur de la soirée, Astier-Réhu rentrait chez lui fort tard, apaisé, remis de ses cinq heures de pilori sur le banc de la huitième chambre, cinq heures à subir, les mains liées, le rire outrageant de cette foule et le jet de vitriol de l’avocat. « Riez, riez, messieurs les babouins !… la postérité jugera. » Il se consolait ainsi, en traversant les grandes cours de l’Institut où tout dormait, les vitres éteintes, la baie des escaliers faisant à droite et à gauche de grands trous noirs, rectangulaires. Monté à tâtons, il gagna son cabinet sans bruit, sans lumière, comme un voleur. C’est là que depuis le mariage de Paul et sa rupture avec son fils, il se jetait tous les soirs sur un lit improvisé pour échapper à ces tenaces discussions nocturnes, où la femme reste puissante, même quand elle a cessé d’être femme, par l’infatigable ressource de ses nerfs, et où l’homme finit par tout céder, tout promettre, pour la paix, la liberté du sommeil !

Dormir ! jamais il n’en avait senti le besoin comme à la fin de cette longue journée d’émotions et de fatigues, et il entrait dans l’ombre de son cabinet, déjà comme dans du repos, quand il distingua une vague forme humaine à l’angle de la fenêtre.

« Eh bien ! vous voilà content… » Sa femme ?