Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/356

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souvenir de tant d’abominations qu’il vient d’entendre. Elle n’a rien épargné, rien laissé de vivant en lui, pas même cet orgueil qui le tenait encore debout : sa foi dans son œuvre, sa croyance à l’Académie. Et songeant à l’Académie, instinctivement il se retourne. Au bout du pont désert, élargi en une immense avenue jusqu’au pied du monument, le palais Mazarin massé, resserré dans la nuit, dresse son portique et sa coupole comme sur la couverture des Didot, tant regardée en sa jeunesse… Oh ! ce dôme, ces pierres, but décevant, cause de son malheur… C’est là qu’il est venu chercher sa femme, sans amour, sans joie, pour la promesse de l’Institut. Il l’a eue, oui, cette placé enviée ! il sait comment… Et c’est du propre !…

… Des pas, des rires sonnent sur le pont, se rapprochent : Des étudiants revenant au quartier avec leurs maîtresses. Il a peur d’être reconnu, se lève, s’appuie à la rampe ; et, pendant que la bande le frôle sans le voir, il songe amèrement qu’il ne s’est jamais amusé, jamais donné un beau soir comme celui-là, pour chanter follement sous les étoiles, — l’ambition toujours tendue, en marche vers cette coupole de temple, qui lui a fourni en retour… quoi ? Rien, le Néant… Déjà, il y a bien longtemps, le jour de sa réception, les discours finis, les malices échangées, il a eu cette