Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/57

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quand le valet qui lui prenait sa canne et son chapeau des mains l’avertit que madame la princesse attendait monsieur dans le petit salon. Tout de suite introduit sous la rotonde vitrée, verdie de plantes rares, il se rassura par la vue de deux couverts dressés sur une toute petite table, dont Mme de Rosen surveillait elle-même l’installation.

« Une fantaisie, en voyant ce beau soleil… Nous serons comme à la campagne… »

Elle avait ruminé cela toute la nuit, de ne pas manger avec ce beau garçon devant le couvert de l’autre ; et ne sachant comment s’y prendre pour les gens, elle avait imaginé de céder la place, de commander tout à coup, en caprice : « Dans la serre. »

En somme, le déjeuner d’affaires s’annonçait bien ; le Romanée blanc au frais dans la vasque du petit rocher, parmi des fougères et des capillaires, du soleil sur les cristaux, sur la laque verte des feuilles découpées, et les deux jeunes gens en face l’un de l’autre, leurs genoux se touchant presque, lui très calme, ses yeux clairs brûlants et froids, elle toute rose et blonde, ses cheveux repoussés en fin plumage ondé, marquant la forme de sa petite tête sans le moindre artifice de coiffure féminine. Et tandis qu’ils parlaient de choses indifférentes, mentant à leur vraie pensée, Paul