Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Palais-Royal, et tout l’attirail bizarre qui suivait, il eut vaguement l’impression d’une reine Pomaré en exil. C’est que maintenant il avait vu de vraies mondaines, et il comparait. Après avoir projeté un grand bal pour l’arrivée, prudemment il s’abstint. D’ailleurs madame Jansoulet ne voulait voir personne. Ici son indolence naturelle s’augmentait de la nostalgie que lui causèrent, dès en débarquant, le froid d’un brouillard jaune et la pluie qui ruisselait. Elle passa plusieurs jours sans se lever, pleurant tout haut comme un enfant, disant que c’était pour la faire mourir qu’on l’avait amenée à Paris, et ne souffrant pas même le moindre soin de ses femmes. Elle restait là à rugir dans les dentelles de son oreiller, ses cheveux embroussaillés autour de son diadème, les fenêtres de l’appartement fermées, les rideaux rejoints, les lampes allumées nuit et jour, criant qu’elle voulait s’en aller… er s’en aller… er, et c’était lamentable de voir, dans cette nuit de catafalque, les malles à moitié pleines errant sur les tapis, ces gazelles effarées, ces négresses accroupies autour de la crise de nerfs de leur maîtresse, gémissant elles aussi et l’œil hagard comme ces chiens des voyageurs polaires qui deviennent fous à ne plus apercevoir le soleil.

Le docteur irlandais introduit dans cette détresse n’eut aucun succès avec ses manières paternes, ses belles phrases de bouche-en-cœur. La Levantine ne voulut, à aucun prix des perles à base d’arsenic pour se donner du ton. Le Nabab était consterné. Que faire ? La renvoyer à Tunis avec les enfants ? Ce n’était guère possible. Il se trouvait décidément en disgrâce là-bas. Les Hemerlingue triomphaient. Un dernier affront avait comblé la mesure : au départ de Jansoulet, le bey