Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/317

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fouillait dans les papiers d’un énorme portefeuille en chagrin qu’il tenait sous le bras.

— Laissez… laissez… Je suis au courant de tout cela… Je sais que volontairement ou non on vous confond avec une autre personne, que des considérations de famille… »

Devant l’effarement du Nabab, stupéfait de le voir si bien renseigné, le duc ne put s’empêcher de sourire :

— Un ministre d’État doit tout savoir… Mais soyez tranquille. Vous serez validé quand même. Et une fois validé…

Jansoulet eut un soupir de soulagement :

— Ah ! monsieur le duc, que vous me faites du bien en me parlant ainsi. Je commençais à perdre toute confiance… Mes ennemis sont si puissants… Avec ça une mauvaise chance. Comprenez-vous que c’est justement Le Merquier qui est chargé de faire le rapport sur mon élection.

— Le Merquier ?… diable !…

— Oui, Le Merquier, l’homme d’affaires d’Hemerlingue, ce sale cafard qui a converti la baronne, sans doute parce que sa religion lui défendait d’avoir pour maîtresse une musulmane.

— Allons, allons, Jansoulet…

— Que voulez-vous, monsieur le duc ?… La colère vous vient, aussi… Songez à la situation où ces misérables me mettent… Voilà huit jours que je devrais être validé et qu’ils font exprès de reculer la séance, parce qu’ils savent la terrible position dans laquelle je me trouve, toute ma fortune paralysée, le bey qui attend la décision de la Chambre pour savoir s’il peut ou non me détrousser… J’ai quatre-vingts millions là-bas, monsieur le duc, et ici je commence à tirer la langue… Pour peu que cela dure…