Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/353

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l’oreiller rougi, fit tressaillir ce délicat, cet élégant qui avait horreur de toutes les misères humaines, surtout de la maladie, et la voyait arriver sournoisement avec ses souillures, ses faiblesses et l’abandon de soi même, première concession faite à la mort. Monpavon, entrant derrière Jenkins, surprit le regard subitement troublé du grand seigneur en face de la vérité terrible, et fut en même temps épouvanté des ravages faits en quelques heures sur le visage émacié de Mora, où toutes les rides de son âge, soudainement apparues se mêlaient à des plis de souffrance, à ces dépressions de muscles qui trahissent de graves lésions intérieures. Il prit Jenkins à part, pendant qu’on apportait au mondain de quoi faire sa toilette sur son lit, tout un appareil de cristal et d’argent contrastant avec la pâleur jaune de la maladie.

« Ah là ! voyons, Jenkins… mais le duc est très mal.

— J’en ai peur…, dit l’Irlandais tout bas.

— Enfin, qu’est-ce qu’il a ?

— Ce qu’il cherchait, parbleu ! fit l’autre avec une sorte de fureur… On n’est pas impunément jeune à son âge. Cette passion lui coûtera cher… »

Quelque mauvais sentiment triomphait en lui qu’il fit taire aussitôt, et transformé, gonflant sa face comme s’il avait la tête pleine d’eau, il soupira profondément en serrant les mains du vieux gentilhomme :

« Pauvre duc… Pauvre duc… Ah ! mon ami, je suis désespéré.

— Prenez garde, Jenkins, dit froidement Monpavon en dégageant ses mains, vous assumez une responsabilité terrible… Comment ! le duc est si mal que cela, ps… ps… ps… Voyez personne ?… Consultez pas ?… »