Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/358

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sista donc pas auprès d’eux, subit leur confiance jouée, affecta même de la partager, de croire au mieux qu’ils lui annonçaient. Mais quand Monpavon rentra, il l’appela près de son lit, et devant le mensonge visible même sous la peinture de cette ruine :

« Oh ! tu sais, pas de grimace… De toi à moi, la vérité… Est-ce qu’on dit ?… Je suis bien bas, n’est-ce pas ? »

Monpavon espaça sa réponse d’un silence significatif : puis brutalement, cyniquement, de peur de s’attendrir aux paroles :

« F…, mon pauvre Auguste. »

Le duc reçut cela en plein visage sans sourciller.

« Ah ! » dit-il simplement.

Il effila sa moustache d’un mouvement machinal ; mais ses traits demeurèrent immobiles. Et tout de suite son parti fut pris.

Que le misérable qui meurt à l’hôpital sans asile ni famille, d’autre nom que le numéro du chevet, accepte la mort comme une délivrance ou la subisse en dernière épreuve, que le vieux paysan qui s’endort, tordu en deux, cassé, ankylosé, dans son trou de taupe enfumé et obscur, s’en aille sans regret, qu’il savoure d’avance le goût de cette terre fraîche qu’il a tant de fois tournée et retournée cela se comprend. Et encore combien parmi ceux-là tiennent à l’existence par leur misère même, combien qui crient en s’accrochant à leurs meubles sordides, à leurs loques : « Je ne veux pas mourir… » et s’en vont les ongles brisés et saignants de cet arrachement suprême. Mais ici rien de semblable.

Tout avoir et tout perdre. Quel effondrement !

Dans le premier silence de cette minute effroyable, pendant qu’il entendait à l’autre bout du palais la mu-