Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/396

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base des colonnes, pyramides, cryptes de tout genre dont le faîte était plus lent à mourir. Des terrassiers, tout blancs de cette blancheur crayeuse des os desséchés passaient avec leurs outils et leurs besaces. Des deuils furtifs, s’arrachant à regret aux larmes et à la prière glissaient le long des massifs et les frôlaient d’un vol silencieux d’oiseaux de nuit, tandis qu’aux extrémités du Père-Lachaise des voix s’élevaient, appels mélancoliques annonçant fermeture. La journée du cimetière était finie. La ville des morts, rendue à la nature, devenait un bois immense aux carrefours marqués de croix. Au fond d’un vallon, une maison de garde allumait ses vitres. Un frémissement courait, se perdait en chuchotements au bout des allées confuses.

« Allons-nous-en… », se dirent les deux copains impressionnés peu à peu de ce crépuscule plus froid qu’ailleurs ; mais avant de s’éloigner, Hemerlingue poursuivant sa pensée, montra le monument ailé des quatre coins par les draperies, les mains tendues de ses sculptures :

« Tiens ! C’est celui-là qui s’y entendait à garder les apparences. »

Jansoulet lui prit le bras pour l’aider à la descente :

« Ah ! oui, il était fort… Mais toi, tu es encore plus fort que tous… » disait-il avec sa terrible intonation gasconne.

Hemerlingue ne protesta pas.

« C’est à ma femme que je le dois… Aussi je t’engage à faire ta paix avec elle, parce que sans ça…

— Oh ! n’aie pas peur… nous viendrons samedi… mais tu me conduiras chez Le Merquier. »

Et pendant que les deux silhouettes, l’une haute, carrée, l’autre massive et courte disparaissaient dans