Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/445

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pleine assemblée du Bas-Empire, foudroyer de son éloquence indignée le luxe effronté des prévaricateurs et des concessionnaires. Comme on comprenait bien maintenant ce beau surnom de « Ma conscience » que lui décernait le Palais, et où il tenait tout entier avec sa grande taille et ses gestes inflexibles. Dans les tribunes, l’enthousiasme s’exaltait encore. De jolies têtes se penchaient pour le voir, pour boire sa parole. Des approbations couraient, inclinant des bouquets de toutes nuances comme le vent dans la floraison d’un champ de blé. Une voix de femme criait d’un petit accent étranger : « Bravo… bravo… »

Et la mère ?

Debout, immobile, recueillie dans son désir de comprendre quelque chose à cette phraséologie de prétoire à ces allusions mystérieuses, elle était là comme ces sourds-muets qui ne devinent ce qu’on dit devant eux qu’au mouvement des lèvres, à l’accent des physionomies. Or il lui suffisait de regarder son fils et Le Merquier pour comprendre quel mal l’un faisait à l’autre quelles intentions perfides, empoisonnées, tombaient de ce long discours sur le malheureux qu’on aurait pu croire endormi, sans le tremblement de ses fortes épaules et les crispations de ses mains dans ses cheveux qu’elles fourrageaient furieusement tout en lui cachant le visage. Oh ! si de sa place elle avait pu lui crier : « N’aie pas peur, mon fils. S’ils te méprisent tous, ta mère t’aime. Viens-nous-en ensemble… Est-ce que nous avons besoin d’eux ? » Et un moment elle put croire que ce qu’elle lui disait ainsi dans le fond de son cœur arrivait jusqu’à lui par une intuition mystérieuse. Il venait de se lever, de secouer sa tête crépue, congestionnée, où la lippe enfantine de