Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/460

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si pénible, si délicat… M. Jenkins quitte Paris pour longtemps, et dans la crainte de vous exposer aux hasards, aux aventures de la vie nouvelle qu’il entreprend, de vous éloigner d’un fils que vous chérissez, et dans l’intérêt duquel il vaut peut-être mieux… »

Elle ne l’entendait plus, ne le voyait plus, et pendant qu’il débitait ses phrases filandreuses, livrée au désespoir, peut-être à la folie, écoutait chanter en elle-même l’air obstiné qui la poursuivait dans cet écroulement effroyable, comme reste dans les yeux de l’homme qui se noie la dernière image entrevue :

Le temps nous enlève
Notre enchantement…

Tout d’un coup le sentiment de sa fierté lui revint.

« Finissons, monsieur. Tous vos détours et vos phrases ne sont qu’une injure de plus. La vérité c’est qu’on me chasse, qu’on me met dans la rue comme une servante.

— Oh ! Madame, madame… La situation est assez cruelle, ne l’envenimons pas encore par des mots. Dans l’évolution de son modus vivendi, M. Jenkins se sépare de vous, mais il le fait, la mort dans l’âme, et les propositions que je suis chargé de vous transmettre sont une preuve de ses sentiments pour vous… D’abord, en fait de mobilier et d’effets de toilette, je suis autorisé à vous laisser prendre…

— Assez », dit-elle.

Elle se précipita vers la sonnette :

« Je sors… Vite mon chapeau, mon mantelet, n’importe quoi… je suis pressée. »

Et pendant qu’on allait lui chercher ce qu’elle demandait :